Hommage à la mémoire
du président GEORGES QUERTANT
(1894-1964)
Extrait des Annales de la Société
Scientifique et Littéraire de Cannes
Cinquante années au service
de la Musique, de la Pédagogie et de la Science.
Vingt-huit années de Présidence aux destinées de la Société Scientifique et Littéraire de Cannes et de l'arrondissement de Grasse. Fondateur de la Culture Psycho-sensorielle,
Georges Quertant
Chevalier de la Légion d'Honneur
Officier de l'Ordre des Palmes Académiques.
s'est éteint le 8 juillet 1964
Nous voici donc arrivés au terme de ce périple étonnant et apparemment paradoxal, qui fut celui de la pensée de Georges Quertant.
En réalité, si l'on y regarde bien, ce périple inspiré, d’un bout à l’autre, d'une unité directrice, qui consiste en ceci que Georges Quertant a toujours voulu être, et a toujours été, avant tout, un pédagogue.
Cet aboutissement de la pensée de Georges Quertant tient essentiellement en deux notions: le complexe somato-psychique et la culture psycho-sensorielle. Je n’entreprendrai point de reprendre devant vous l’exposé de ces deux concepts; notre regretté Président l’a fait d’une manière très complète et suivant un plan qui nous permet précisément de suivre le cheminement de sa pensée. Je fais ici allusion à la dissertation sur le complexe somato-psychique qu'il vous a présentée a la séance du 7 juin 1959 de notre Société.
Plutôt donc que d’entrer dans le détail de ces thèses, ce que je ferais d’ailleurs certainement beaucoup moins bien que ne l’a fait leur auteur, je préfère chercher, à travers l’œuvre, et tout particulièrement dans la dernière partie de cette œuvre, qui en a été comme le couronnement, à chercher dis-je, l’homme. Et, de ce point ce vue, plusieurs traits me frappent dont l’ensemble constitue, je crois, le plus bel éloge que nous puissions offrir à la mémoire de Georges Quertant.
J’ai dit tout à l’heure que sa vocation de pédagogue nous fournissait la clé de l’évolution de sa pensée. Et, de fait, ainsi qu’il nous le dit lui-même, c’est en enseignant la musique à ses élèves, en mettant au point des méthodes de pédagogie musicale qui, je le cite, "leur donneraient la possibilité de se libérer de la servitude des nécessités physiques nécessaires, pour pouvoir exprimer avec plus de liberté leur intellect, leur spiritualité artistique", c’est donc dès ce moment qu’il songea à réaliser, parallèlement aux méthodes de culture physique, des méthodes ce culture nerveuse. Dans tous les écrits de Georges Quertant, l’on retrouve le souci de mettre sur pied cette gymnastique du système nerveux, symétrique en quelque sorte de la gymnastique musculaire, et cette recherche trouvera son expression finale dans ce qu’il a codifie et mis en pratique sous le nom de culture psycho-sensorielle. Je vois dans cette vocation pédagogique, dans cette incessante volonté d’être utile, d’apporter quelque chose à son prochain, l’un des traits,- et non des moins remarquables,- que l'on peut découvrir chez Georges Quertant à travers son œuvre.
Un autre trait qui apparaît, en filigrane si je puis dire et tout particulièrement à la lecture de ses travaux sur le complexe somato-psychique et sur la culture psycho-sensorielle, c’est l’admirable volonté et l’incroyable ténacité qu'il a fallu à Georges Quertant pour acquérir les connaissances indispensables à l’approche du but qu’il s’était proposé. Songez qu’il était musicien, professeur ce musique, chef d’orchestre, et que rien de tout cela ne le préparait particulièrement aux spéculations d’ordre psycho-physiologique. Sans doute la première illumination lui vint-elle de la lecture de Claude Bernard, ce père de la physiologie moderne, dont le clarté, la simplicité, la pureté de style rendent la pensée aisément accessible. Mais, après l’éblouissement de la révélation, devaient venir les longues années de travail nécessaires à l’acquisition des connaissances indispensables. Et ce travail fut un travail de solitaire. C’est sans professeur, Georges Quertant nous le dit lui-même, qu’il étudie l’anatomie et la physiologie du système nerveux; c’est seul qu’il dut étudier les sciences physiques. Je m’imagine peut-être mal ce que peuvent être, dans ces conditions, l’étude et l’assimilation de sciences telles que la mécanique, l’optique, l’acoustique, l’électricité... mais je puis vous assurer que je me représente parfaitement ce qu’il en est pour l’anatomie et la physiologie du système nerveux. Ce sont là des disciplines qui comptent parmi les plus complexes de celles qui constituent la base de l’enseignement médical; ce sont de ces disciplines qui paraissent impliquer le plus nettement la nécessité de l’enseignant, au maître qui explique, qui démontre, qui rend toute chose claire et vivante, mieux que ne saurait le faire aucun livre. Et c’est seul pourtant, aux heures de liberté que lui laissaient ses obligations professionnelles de musicien, et sans doute bien souvent durant les heures nocturnes, que Georges Quertant a lentement, patiemment, tenacement, chapitre après chapitre, centre nerveux après centre nerveux, acquis les connaissances anatomiques et physiologiques qui lui ont permis d’édifier sa conception du complexe sonate-psychique. Je pense que ce labeur patient, secret, acharné, poursuivi sans défaillance durant des années, mérite notre entière admiration et‘ que c'est l’un des plus beaux titres de Georges Quertant à notre hommage.
Il est un autre fleuron qu'il convient d’ajouter à la couronne que nous tressons aujourd'hui à la mémoire de notre regretté Président, et ce fleuron, nous le trouvons dans son œuvre elle-même, et tout particulièrement dans sa conception du complexe somato-psychique. En effet Georges Quertant ne s’est pas contenté d’acquérir les connaissances qui lui étaient nécessaires pour mener à bien son entreprise; il ne s’ est pas contenté, si je puis dire, d’être un bon élève; il ne s’est pas contente d’assimiler ce que lui révélaient les livres et les traités; il a imprimé à ce qu’il avait acquis sa marque personnelle, il a élaboré ses idées propres, il a bâti ses conceptions. Or ces conceptions ne peuvent que nous frapper par leur fréquente pertinence, quand ce n’est pas par une véritable anticipation sur les théories futures. C’est ainsi qu'il a, l’un des premiers, mis en valeur l’unité du complexe somato-psychique, autrement dit les liens étroits et réciproques qui unissent l’organique et le psychique, le corps et l’esprit, et qu’il a compris que cette unité permettait d’agir sur l’un des éléments du complexe par l’intermédiaire de l’autre. Voilà une notion qui a pris un singulier développement avec ce que l’on appelle aujourd’hui la médecine psychosomatique
De même a-t’il parfaitement réalisé l’importance primordiale, du point de vue de la régulation de l’activité nerveuse, des noyaux de substance grise qui occupent le centre du cerveau. De même encore a-t’il compris le rôle de premier plan que joue, dans cette même régulation, le sens de la vision, et c’est sur cette notion qu’il a surtout basé les techniques de sa culture psycho-sensorielle.
Mais là où Georges Quertant fait vraiment figure de précurseur, c’est dans l’idée qu’il se fait de la régulation de l’activité cérébrale. Ainsi qu’il l’écrit, cette régulation est une autorégulation, dont je ne vous démonterai pas le mécanisme assez complexe: l’important est qu’il s’agit d’une autorégulation, qui assure à chaque instant le contrôle du fonctionnement nerveux et lui permet ainsi de s’adapter à ses tâches aussi diverses qu’innombrables. Et cette autorégulation, cet autocontrôle, n’est-ce-pas la caractéristique essentielle, la définition même des machines électroniques? Georges Quertant a ainsi, avant la lettre, énoncé la théorie du fonctionnement cybernétique du cerveau humain, théorie qui a reçu depuis, et tout récemment encore, de nombreuses confirmations. Dans son livre sur la Cybernétique des êtres vivants, Stanley Jones ne consacre -t’il pas un chapitre entier à la cybernétique du contrôle nerveux? Mais Georges Quertant n’entendait pas pour autant verser dans une quelconque théorie mécaniste de la vie: n’a-t’il pas écrit qu’il entendait s’élever contre ceux qui veulent expliquer l’homme par la machine, et non la machine par l’homme, dont elle n’est qu’une très lointaine copie
Tel fut, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Georges Quertant; tel fut cet esprit curieux et ce curieux esprit, en qui je verrais volontiers le successeur de ces hommes de la Renaissance, dont l’intelligence largement ouverte se passionnait aussi bien pour les sciences que pour les arts. Nous avons perdu en lui un grand Président; mais nous avons perdu davantage encore: nous avons perdu un homme d’une grande culture et d’une rare élévation de pensée, l’un de ces hommes que l’on s’honore d’avoir connus et estimés.